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Face aux 39% de Trump, taxer l'or peut-il amortir le choc des droits de douane?
Le métal jaune plombe la balance commerciale avec les États-Unis. Imposer son exportation apporterait des rentrées fiscales bienvenues pour aider l'économie. Publié aujourd'hui à 06h55
L'idée est portée par le conseiller aux États Carlo Sommaruga (PS/GE).
LAURENT GUIRAUD/TAMEDIA
En bref:
La solution à la crise des droits de douane passerait-elle par l'or? Plutôt discrètes, les raffineries helvétiques de métal jaune se retrouvent sous le feu des projecteurs depuis que Trump a dégainé ses 39% de taxe . Les exportations d'or pèsent en effet de plus en plus dans la balance commerciale. Et à Berne, une idée émerge: les imposer davantage.
À la manœuvre: Carlo Sommaruga (PS/GE). Le sénateur propose «l'adoption urgente d'une taxe sur les exportations d'or d'investissement, à savoir les pièces et les lingots». Les recettes fiscales supplémentaires permettraient à la Confédération de soutenir les entreprises exportatrices frappées par les surtaxes américaines. Explications. La Suisse, pays leader pour raffiner l'or
Commençons par regarder ce qu'est l'industrie de l'or en Suisse. Nos raffineries sont en effet parmi les plus grandes au monde. La plupart sont au Tessin, mais il y a aussi Metalor à Neuchâtel. Leur modèle économique? Importer de l'or, le raffiner, puis le réexporter ou le fournir à des entreprises suisses qui l'intègrent dans leur production.
Les raffineries d'or suisses sont parmi les plus importantes en Suisse.
Foto: Beat Mathys
Les principaux marchés d'exportation sont l'Inde et la Chine. Mais au cours des deux dernières années, les USA ont vu le volume d'exportation d'or exploser. Sur les cinq premiers mois de 2025, la Suisse a exporté pour l'équivalent de 39 milliards d'or aux États-Unis, alors qu'elle n'en a importé que pour 7,3 milliards.
Ce déficit de 31,7 milliards pour un seul secteur sur le 1ᵉʳ semestre est énorme. Pour rappel, en 2024, la balance commerciale entre Berne et Washington s'était soldée – tous bien confondus, mais or exclu – sur 38,5 milliards. Ce sont ces fameux «40 milliards volés aux États-Unis», selon Donald Trump, qui sont à l'origine des droits de douane à 39%. Une surtaxe qui fera mal à la Suisse. Amortir le choc des droits de douane
Sachant que la pharma est pour le moment exemptée, 60% des exportations seront touchées. Selon les chiffres que Carlo Sommaruga a obtenus du SECO, c'est une surcharge de 12 milliards pour les entreprises exportatrices vers les USA. L'institut KOF parle, lui, d'une réduction de 0.3% du PIB. Face aux risques de perte d'emploi, le chômage partiel, même prolongé, ne suffira pas, estime le Genevois.
«Pour préserver l'emploi, une intervention financière de la Confédération au secteur d'exportation est indispensable, que ce soit pour amortir le choc des taxes américaines ou pour rester concurrentiel face à l'UE, le Royaume-Uni ou le Japon, développe-t-il. Et cette dernière se chiffrera en milliards, alors que la Confédération prépare déjà des plans d'économies.» D'où son idée de taxer les exportations d'or.
«C'est une source financière conséquente, récurrente, même si variable, poursuit Carlo Sommaruga. Elle pourrait être affectée à l'appui public aux secteurs industriels d'exportation en difficulté, par exemple au travers d'un fonds, mais aussi de l'assurance chômage, et le cas échéant, aux caisses de la Confédération pour équilibrer le budget.»
Il rappelle que l'or d'investissement bénéficie en Suisse d'une exonération fiscale totale: il n'est soumis ni à la TVA, ni à une taxation sur la plus-value, ni même à une taxe sur l'exportation. C'est ce dernier élément que veut changer Carlo Sommaruga. Et ça pourrait rapporter gros. Selon les chiffres de l'Office fédéral des douanes, la Suisse – sur la période 2015-2024 – a exporté en moyenne 71,5 milliards par an. Une taxe de 1% permet de dégager 715 millions chaque année. Si on monte à 4%, les rentrées fiscales atteignent 2,86 milliards. Mettre fin aux privilèges
Selon l'Association suisse des fabricants et commerçants de métaux précieux , le secteur génère 1800 places de travail directes. Ce dernier serait-il sacrifié? «Non, répond Carlo Sommaruga. Car même avec cette nouvelle taxe, dont il faudrait définir le niveau, la place helvétique resterait concurrentielle. D'une part, il y a un savoir-faire important. D'autre part, à l'étranger, le commerce de l'or est soumis à des taxes plus élevées et à l'impôt sur les plus-values. Il s'agit simplement de mettre fin à certains privilèges de manière utile.»
Il précise que cette taxe n'aurait pas de répercussions sur le reste de l'économie, puisqu'elle ne toucherait pas l'or destiné à l'industrie indigène, comme l'horlogerie, la bijouterie ou l'électronique. Et de conclure: «Si cette taxe devait conduire à une réduction de nos exportations d'or vers les États-Unis, ce serait bénéfique, puisque cela diminuerait d'autant notre balance commerciale, et répondrait ainsi aux critiques américaines, même si, apparemment, l'or n'est pas soumis au supplément de 39%.»
L'or est-il concerné par la surtaxe de 39%? Dans la nuit de lundi à mardi, Donald Trump a finalement annoncé que non.
AFP
Face à l'insécurité qui pèse sur l'économie, Carlo Sommaruga propose enfin que cette taxe soit introduite par l'adoption d'une loi fédérale urgente et la modification de la constitution nécessaire. Une procédure utilisée lors du Covid. Si le Conseil fédéral refuse de bouger, l'impulsion pourrait venir du parlement. «Je parlerai de mon projet en Commission de l'économie et des redevances. L'idéal serait en effet qu'il s'agisse d'une proposition de commission, détaille-t-il. Si ce n'est pas le cas, j'interviendrai à titre individuel.» Une mesure discriminatoire
Sera-t-il entendu? Dans le camp bourgeois, l'idée divise. «Avant toute chose, il faudrait discuter avec la branche, pour voir si une telle solution serait acceptable ou si elle menacerait les entreprises actives dans ce secteur», réagit Fabio Regazzi (Le Centre/TI). Mais celui qui préside l'USAM n'est pas très enthousiaste. «Sur le fond, ça revient à discriminer une branche pour aider les autres. Et comme les raffineries sont essentiellement situées au Tessin, mon canton subirait quasi à lui seul les conséquences en termes d'emplois et de finances. Ce n'est pas vraiment l'idée que je me fais de la Suisse.»
Olivier Feller (PLR/VD) admet qu'en Suisse, on n'aime pas les différences de traitement entre branches économiques. Cela étant dit, il estime que «cette proposition mérite d'être étudiée, notamment sa viabilité». Et de conclure: «Il est toutefois piquant de voir qu'une telle mesure s'inspire de la logique de Trump, alors que le PS est le parti qui l'a le plus critiqué.»
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Florent Quiquerez est journaliste à la rubrique Suisse depuis 2015. Spécialisé en politique, il couvre avant tout l'actualité fédérale. Auparavant, il a travaillé comme correspondant parlementaire pour les Radios Régionales Romandes. Plus d'infos
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